Il y a quelques jours, les médias ont divulgué une information qui, en temps normal, aurait dû susciter une vive interrogation et un débat approfondi : en 1939, alors que la Tchécoslovaquie venait d’être annexée par Hitler, la Banque d’Angleterre a donné l’or tchèque aux nazis. Passée la première salve d’articles (articles se restreignant en général à l’aspect purement factuel), l’on est cependant vite retourné aux sujets de saison favoris des médias français : le temps, les anecdotes sur les vacances et autres concours de châteaux de sable …
Les agissements de la Banque d’Angleterre en 1939 sont pourtant tout sauf neutres et anodins, surtout lorsqu’un certain nombre de commentateurs ont déjà noté les troublantes similitudes entre les événements ayant mené à la deuxième guerre mondiale et les événements d’aujourd’hui, en particulier en ce qui concerne le rôle des banques.
Voici donc, ci-dessous, un article publié dans la lettre hebdomadaire EIR Strategic Alert qui replace cette révélation dans le contexte en dehors duquel il est impossible de comprendre ce qui se passe aujourd’hui.
A lire également, sur la BRI: La banque des règlements internationaux et la solution finale; sur le rôle spécifique de la Banque d’Angleterre dans la renaissance de l’empire britannique : Paradis fiscaux ou l’argent sale au service de l’empire
Dessous des cartes : Draghi, l’euro, Montagu Norman et les nazis
Le spectre de Montagu Norman était présent dans la salle de la BCE le 1er août, lorsque Mario Draghi expliquait pourquoi sa banque, nonobstant sa rhétorique sur la « transparence » et la «démocratie», ne peut pas et ne veut pas publier le compte-rendu des réunions du Conseil par crainte des pressions publiques (voir plus loin). Si aucun journaliste ne l’a mentionné, les documents rendus publics deux jours auparavant par la Banque d’Angleterre (BoE) indiquent que le modus operandi n’a pas beaucoup changé depuis l’époque où les banques centrales membres de la Banque des Règlements internationaux (BRI) soutenaient la machine de guerre nazie : aujourd’hui, comme en 1939, l’« indépendance des banques centrales » sert à dissimuler des politiques et des crimes inavouables.
En 1939, la BoE gérait des comptes pour la BRI, et comme le note l’archive rendue publique le 30 juillet : « Les directeurs de la Banque d’Angleterre sont naturellement parmi les plus influents de la Direction ». Le 21 mars 1939, six jours après l’invasion de la Tchécoslovaquie par les nazis, la BoE transféra de l’or depuis le compte tchèque auprès de la BRI au compte de la Reichsbank à la BRI. D’autres transferts ont suivi par la suite. Le gouverneur de la BoE, Montagu Norman, « estimait qu’il serait erroné et dangereux pour l’avenir de la BRI ou de tout membre du Conseil, notamment d’un point de vue national, de tenter pour des raisons politiques d’influencer les décisions du président de la BRI ».
Le document de la BoE, rédigé en 1950, explique que les directeurs de la BoE voulaient surtout maintenir la BRI pour qu’elle « joue son rôle dans la solution des problèmes de l’après-guerre. Ne serait-ce que pour cette raison, il était essentiel qu’elle reste impartiale et neutre. » Dans un commentaire sur les documents, Corriere della Sera écrivait : « Une ironie tragique, l’obstination des banquiers à préserver le système financier en vue de la reconstruction de l’Europe, sans se rendre compte qu’autour d’eux l’Europe commençait déjà à brûler. » En réalité, l’objectif des banquiers était bel et bien de faire brûler l’Europe, l’« indépendance » de la BRI ne servant que de prétexte. La BoE et l’establishment britannique soutenaient la politique économique des nazis, mise en œuvre par leur agent Hjalmar Schacht.
Aujourd’hui aussi, les banquiers s’obstinent à vouloir préserver le système pendant que l’Europe brûle. Et l’indépendance de la banque centrale sert à justifier des politiques injustifiables, comme celles appliquées à la Grèce, au Portugal et à l’Espagne que Mario Draghi qualifie de « progrès énormes ». Et aujourd’hui, la BRI est toujours au coeur du système. Draghi et le nouveau gouverneur de la BoE ont dirigé le Conseil de stabilité financière de la BRI (après avoir travaillé à Goldman Sachs), et ont oeuvré à la version actuelle du plan Young, à savoir l’Union bancaire et le Mécanisme de résolution bancaire.
Toutefois, nos banquiers disposent d’un nouvel outil : la BCE. Si à partir de 1930, il s’agissait de monter les nations européennes les unes contre les autres, la BCE est là pour écraser toute résistance nationale. C’est dans ce contexte qu’on peut mieux comprendre le refus de la banque de Francfort de rendre public le compte-rendu de ses réunions. Questionné par des journalistes lors de la conférence de presse, Draghi a répondu que si elle le faisait, les membres du Conseil seraient critiqués par l’opinion publique de leurs pays respectifs. Or les membres du Conseil n’ont pas à représenter d’intérêt national, mais uniquement « les intérêts de l’euro, de la zone euro ». C’est effectivement ce qui figure dans les statuts de la BCE.
Et quels seraient les intérêts de l’euro ?Ceux des banquiers. C’est la continuation du système que Montagu Norman, les nazis et la BRI s’obstinaient à préserver en 1939.
Laisser un commentaire